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  • Nicoletta Fagiolo

“Shadow work”, un film qui passe à côté de l'histoire


Dans le documentaire Shadow work récemment mis en ligne sur Youtube (Journeyman Pictures) le réalisateur Nigel Walker dit qu'il veut rendre compte des causes de la crise qui a secoué ce pays ouest-africain qu’est la Côte d'Ivoire, à travers l'élaboration du portrait de Charles Blé Goudé, le leader militant des Jeunes patriotes ; surnommé «le général», pour sa capacité à mobiliser un grand nombre de personnes dans les rues en un laps de temps pour des manifestations de masse non violentes, des marches de protestation, des sit-in et de[s] grève[s] de la faim.

Nigel Walker dit par la voix narrative du documentaire qu'il a été intrigué par Blé Goudé après avoir lu un article de Georg Packer datant de 2003 dans le New Yorker et titré Gangsta War. Il a ensuite décidé de se lancer dans la réalisation du film quand Charles Blé Goudé a déclaré qu'il «allait prendre le pays si le président actuel (Gbagbo) n'a pas gagné les élections". Ceci est une très grave accusation en raison des charges de crimes contre l'humanité qui pèsent actuellement sur Charles Blé Goudé à la Cour pénale internationale. De telles accusations ne peuvent être portées sans préciser ou fournir des preuves tangibles. M. Walker devrait être poursuivi pour diffamation comme la présomption d'innocence est consacré[e] par l'article 11 (1) de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Les erreurs factuelles dans le film sont ridicules, comme celle indiquant que le gouvernement Gbagbo a enlevé les droits afférents à la citoyenneté en 2002 aux ressortissants du Nord de la Côte d’ivoire et que cela était la raison derrière la tentative de coup d'État (qui est défini comme une guerre civile ethnique dans le film) de la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Le cinéaste peut-il fournir le décret du gouvernement ou toute décision parlementaire qui fait œuvre d'une telle politique? Non, il ne peut probablement pas, parce que «l'exclusion» ou ivoirité n'a jamais été une politique menée par le gouvernement Gbagbo. Des études socio-politiques récentes ont montré à contrario que [de] tous les gouvernements que la Côte d’ivoire ait jamais eu[s], le gouvernement Gbagbo était le plus ethniquement diversifié.

Les ressortissants du Nord n’ont jamais été exclus du vote comme le prétend le film. Mais un candidat à la présidentielle de 2000, à savoir Alassane Ouattara, qui ne répondais pas aux critères constitutionnels que son propre parti a appelé à voter s’est vu signifier sa disqualification. La constitution stipule que pour être candidat à la présidence il faut être né d'une mère et d'un père qui sont ivoiriens. C’est un critère qui est appliqué dans la plupart des Constitutions dans le monde entier. Un observateur clairvoyant et neutre, à l'époque ambassadeur en Côte d’ivoire, a dénoncé l’assimilation par Ouattara de son exclusion à celle de "l'exclusion d'une partie de la population» et a estimé que c’était un prétexte pour installer la chienlit dans le pays. (Https://www.youtube.com/watch?v=OXo9GK9lv60)

Le film commence en 2006, au milieu de la crise, sans expliquer comment nous en sommes arrivés là. Pour rattraper son retard sur les événements de septembre 2002 qui ont divisé le pays en deux, le spectateur a quelques légendes à lire de façon à essayer de comprendre. (Walker parvient à confondre aussi la chronologie de ces quelques faits, car Gbagbo a été élu en 2000, bien avant l’intervention française et de l'ONU de 2002.)

Il n'y avait pas de hausse des tensions ethniques en 2002 comme le prétend Walker. Le film manque donc de nous dire le point principal de l'histoire : qui et pourquoi le pays a été attaqué en septembre 2002. La Côte-d'Ivoire se portait bien et était relativement calme à l'époque (aujourd'hui les archives diplomatiques corroborent cela) jusqu'à ce coup d'Etat de septembre, dans lequel le ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation et le Général Guei, entre autres, meurent assassinés.

Nous entendons dans le film que Blé Goudé est un disciple de Gbagbo, mais Walker oublie également de mentionner qui est Gbagbo. Laurent Gbagbo et son parti politique, le Front populaire ivoirien, sont les fondateurs de la démocratie ivoirienne et du multipartisme dans le pays. Une démocratie remportée par le FPI à travers plus de 30 ans de lutte non violente.

Charles Blé Goudé est né le 1er Janvier 1972 à Niagbrahio dans l'ouest de la Côte d 'Ivoire. Il était impliqué dans les luttes syndicales des étudiants lorsque le pays était encore sous une dictature du parti unique. Sa lutte non violente l’a conduit à être emprisonné huit fois entre 1994 et 1999. En 1990, il a rejoint la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI) qu'il a dirigé[e] à partir de 1998 pour deux ans, avant de former le Congrès panafricain des jeunes patriotes (COJEP). Le film est source de confusion dans la mesure où il se concentre beaucoup sur les activités de la FESCI dans un moment où Blé Goudé était à la tête d'un mouvement différent.

En Septembre 2002, lorsque la Côte d’ivoire a été attaqué[e] par un groupe armé qui est venu du Burkina Faso, les Français étaient censés venir à l'aide de Gbagbo, pas sur la base de l'amitié, mais par le respect de l'Accord de défense de 1961 qui garantit la protection militaire en cas d'invasion ou d'attaque armée. L'accord de défense qui justifie également la présence militaire française dans le pays depuis l'indépendance et qui donne des avantages commerciaux lucratifs en échange.

La France, en choisissant délibérément de ne pas intervenir en 2002, a violé l'accord de défense. La France a également cristallisé la partition du pays et légitimé une rébellion impitoyable qui a fait quelque 750.000 personnes déplacées et trois millions qui recevaient de l'aide humanitaire.

D'où le sentiment anti-français dans le pays où la France a décidé de ne pas respecter ses engagements et d'opter pour une zone tampon qui divise le pays en deux. Ceci malgré le fait qu'une opération militaire rapide aurait permis de réunifier le pays et lui permettre d'avancer. Au lieu de l'impasse qui fragilise le pays. Par exemple en 2006, la période où les images du film ont été tournées, les forces de l'ONU s’élèvent à 11000 hommes y compris la force française Licorne. Cet énorme déploiement militaire n'a toutefois pas tenté de réunifier le pays et apporter enfin la paix.

Le diplomate et universitaire nigérian Ademola Araoye, dans Cote d‘Ivoire, The Conundrum of a Still Wretched of the Earth, écrit que "peu de temps après l'entrée dans le conflit de la France, les rebelles ont élargi leurs demandes d'inclure des questions politiques. La France, par RFI (Radio France Internationale) a déterminé et interprété les faits de la crise ivoirienne dans le monde. Les médias français, presse écrite et électronique, ont contribué à renforcer la perception de la légitimité de la cause de la rébellion". Dans le même temps une campagne de diabolisation contre Gbagbo était enclenchée dans les médias français.

La France avait saboté les efforts sous-régionaux de médiations depuis 2002. Le cinéaste oublie aussi que le "gouvernement de professeurs" Gbagbo est forcé, à travers les accords de paix de Marcoussis imposés par la France, dès 2003, d’inclure les membres de la rébellion. Cette même rébellion qui bien qu'[ayant] le droit de siéger au parlement (en dépit de ne pas être élu[e]), a refusé de désarmer. Le désarmement des rebelles, le nœud du problème, est évité. Tout cela est laissé inexpliqué.

Walker ne tente jamais d'expliquer pourquoi les sentiments anti-français étaient forts dans le pays. Par exemple l'affaire de Bouaké, toujours pas résolue à ce jour. En 2004, des manifestations anti- françaises violentes ont éclaté après que l'armée française a lancé une frappe aérienne militaire qui a détruit la totalité de l'aviation ivoirienne, en représailles à une attaque contre une de ses bases à Bouaké dans le nord qui a tué neuf soldats français. La responsabilité de l'attaque n'a jamais été éclaircie. Cet événement, extrêmement tragique, où les force[s] française[s) ont ouvert le feu sur des civils désarmés tuant 67 personnes et en blessant plusieurs milliers, a été traité par Blé Goudé avec des appels à des manifestations pacifiques à occuper la base militaire française et l'aéroport, et leur demander de partir. Blé Goudé a insisté qu'il n'y avait que les soldats français qu'ils voulaient voir quitter les lieux. "Nous [n']avons aucun problème avec les civils français ici en Côte d'Ivoire," a-t-il déclaré à la BBC à l'époque. Blé Goudé a également nié vouloir faire partir tous les étrangers.

A la minute 16:14 du film nous entendons quelqu'un au coin des orateurs ivoirien (les soi-disant agora ou Parlement) dire : «Nous ne plaisantons pas ici, cette xénophobie, même Dieu est OK avec cette xénophobie». Ceci est totalement sorti de son contexte, et nous, auditeurs ne savons pas ce que la personne a donné comme exemple de xénophobie. En outre, le film veut lier un gouvernement et un mouvement de jeunesse à ce que disent les haut-parleurs des orateurs: c’est comme essayer de faire passer les déclarations de certaines personnes au coin des orateurs de Hyde Park pour la politique officielle du gouvernement d'Angleterre !

L'événement qui ouvre le film, lorsque les Jeunes patriotes tiennent un sit-in à l'ONUCI et réclament [sur] des griefs spécifiques, en omettant tout le contexte historique est réduite à un événement où des manifestants en colère demandent aux étrangers de quitter le pays : cela est dangereusement simpliste.

Un câble de wikileaks du gouvernement américain aurait pu être cité pour expliquer la raison de cette manifestation de masse du 16 Janvier 2006 : ",Pierre Schori, le représentant spécial du secrétaire général et chef de l’Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), en désaccord avec l'interprétation du Conseil Constitutionnel Ivoirien, a publiquement soutenu le Groupe de travail international (GTI), (qui avait été mise en place comme commission de suivi des accords de paix) qui voulait la suspension du Parlement du pays. C’est la décision du 15 Janvier du GTI qui a déclenché les manifestations de masse contre les forces et les sites humanitaires de l'ONU ".

Donc c’était le refus d'accepter la suspension du parlement de la part de l'ONU qui a déclenché ces manifestations. Dans la dernière semaine d'Octobre 2006, la tentative de la France pour superposer le Conseil de Sécurité sur la constitution de la Côte-d'Ivoire, a été rejetée par les États-Unis, la Chine et la Russie, trois des cinq membres permanents, ainsi que la Tanzanie au cours des délibérations sur la proposition de résolution (1721) inspiré[e] par la France. Ainsi, ce que le mouvement de jeunesse rejetait a finalement été également rejeté par ces pays à l'ONU.

Des graves accusations comme celles prêtées à Blé Goudé «d'abattre les blancs» : celles-ci viennent de son adversaire le plus féroce, Sidiki Konaté, qui était à l'époque nul autre que le porte-parole des Forces Nouvelles, le groupe rebelle du Nord.

Nous n’entendons jamais une personne pro-Gbagbo dire «les Nordistes dehors » dans tout le film, ou proférer des commentaires anti-nordistes ou anti-étrange[r]s. Les seules cibles des mouvements de jeunes sont : « ceux qui ont pris les armes pour renverser le gouvernement en 2002. » Donc une rébellion illégitime. Blé Goudé souligne lui-même dans le film que l'on peut définir les personnes qui prennent les armes contre un gouvernement légitime comme des terroristes.

Pourtant Walker pense que de toute façon cette invasion rebelle était juste imaginaire, comme il l'écrit à propos de son film sur Blé Goudé : « Le coup d'Etat dans son pays était son 9/11, les rebelles étaient des terroristes et lui et ses partisans étaient les Patriotes. C’était comme s’il lisait les explications du conflit des média étrangers et les manipula[i]t de manière à influencer ses propres disciples. La réalité sur le terrain, cependant, était très différente »". A quel point était-elle différente ? Walker n'a jamais tenté d'expliquer qui étaient ces rebelles, et encore moins ce à quoi Blé Goudé était confronté.

Blé Goudé en 2006 résistait dans ses mots « avec des moyens non violents » « sans armes » « la force du grand rassemblement » à une résolution de l'ONU imposée la France e[t] qui a tenté de dissoudre le parlement du pays et une force rebelle qui a provoqué une hausse importante du nombre d'orphelins. En visitant un orphelinat dans le film deux personnes confirment que les orphelins proviennent tous de Bouaké, occupée par les rebelles du nord. On se demande pourquoi Walker n'a pas cru bon [de] rebondir sur ce point.

Le film se termine avec le cinéaste nous disant que Gbagbo et les jeunes patriotes voulaient "arrêter e processus de l'élection (en empêchant l'inscription des électeurs) par tous les moyens nécessaires en raison des préoccupations qu'ils ne pourraient pas gagner." Pourtant, l'enjeu, vu dans son contexte historique, était plus complexe : l'inscription était pratiquement impossible dans la zone nord où l'administration était encore entre les mains d'hommes armés.

Au contraire, l'obstruction des Forces Nouvelles à l'inscription des électeurs est bien documentée aujourd'hui. L'absence de l'administration dans les zones du Nord a posé de graves menaces pour les archives nationales. Dans une interview Georges Peillon, un ancien porte-parole des forces françaises Licorne, explique le terrible fait que les rebelles ont souvent brûlé toutes les archives quand ils occupaient les administrations du Nord, de manière à rendre l’inscription des électeurs impossible: "nous voyions des beignets enveloppés dans des certificats de naissance sur le marché local."(Interview https://www.youtube.com/watch?v=l1YnmToSr38)

Gary Busch écrit dans The Empire strikes back : «ce type de fraude a été souvent rapporté. La police avait apporté la preuve qui a montré que le RDR (le parti de Ouattara) vendait les documents d'enregistrement. L'ensemble du processus est en discrédit parce que personne de formée et agréée pour effectuer le processus d'identification n’était en mesure d'assister à ces conseils de village. Le nœud du problème est que plus de la moitié des forces rebelles regroupées sous la rubrique des Forces Nouvelles ne sont pas de nationalité ivoirienne, et ne l'a jamais été ".

Même la traduction français-anglais dans le film pose problème. Un exemple de mauvaise traduction : à la minute 17:10 Charles Blé Goudé dit : "Parce que on se connaît en détail, en pièces détachées» qui signifie «parce que nous nous connaissons tous si bien dans ce pays », nous pouvons parler ouvertement, est traduit comme : "nous savons qui sont les pièces de rechange dans ce pays ".

Fait intéressant, nous sommes en 2006 et selon le film, un pro démonstrateur Gbagbo dit qu'ils devraient aller au-delà [de] simplement porter des T-shirts forts et organis[er] des manifestations et des marches, parce que ça ne les mène nulle part contre la rébellion lourdement armée. Donc, indirectement, il confirme à nous téléspectateurs la résistance non violente des Jeunes Patriotes.

Aujourd'hui, dans les capitales partout dans le monde, de Paris à Montréal ainsi qu’Abidjan les marches continuent, cette fois pour la libération de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Simone Gbagbo ainsi que les plus [de] 700 prisonniers politiques.

Il est triste et déplorable de constater que des nouvelles technologies et le cinéma sont utilisés comme outils de diffamation pour falsifier une fois plus l’histoire, qui est également la mémoire de certains peuples déjà opprimés.


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