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Nicoletta Fagiolo

Albert Bourgi sur Simone & Laurent Gbagbo, le droit à la différence

Interviewé par Nicoletta Fagiolo

Paris, France Avril 2012


Gbagbo l'homme


Ah c’était énorme. Je raconte une anecdote. Elle est réelle. Je me promenais avec lui (Laurent Gbagbo). C’était en 86-87, à la rue des écoles, c’est-à-dire au quartier Latin, et je rencontre un ami sénégalais. Il me dit : « ah comment vas-tu ? Et je lui dis « Ah, tiens, Laurent Gbagbo »

« Ah celui-là, c’est un fou, il veut s’attaquer au vieux. Mais il est fou ». Donc, au fond s’attaquer à Houphouët, c’était (s’attaquer) à la pièce centrale de tout le dispositif français en Afrique subsaharienne. Et surtout après le départ de Senghor, où la France a su jouer de subtilités, parce qu’il avait toujours des rivalités entre les deux, de leadership. Senghor au Sénégal, et Houphouët en Côte d’Ivoire. Mais quand Senghor est parti, qu’il a démissionné à la fin des années 80, le 31 décembre 80, il ne restait que Houphouët.

Houphouët, c’était vraiment le sage, le vieux, celui qui assurait le leadership. Et, bien évidemment, tout le pré carré, ce qu’on appelait le pré carré français en Afrique, tournait autour de ce personnage. Donc, que quelqu’un aille contester cette autorité était perçu comme quelque chose d’invraisemblable et d’inacceptable. C’est-à-dire que s’attaquer à lui, c’était vraiment s’attaquer directement aux intérêts français. C’était s’attaquer directement à quelqu’un, qui, à tort à mes yeux, avec du recul, incarnait en quelque sorte, cette vision très particulière des rapports entre l’Afrique et la France. Et Houphouët ne s’en cachait pas d’ailleurs. La Côte d’Ivoire d’Houphouët, c’était la France. Tous les postes de décisions et toutes les fonctions de décisions étaient occupées et exercées par des experts français, dans tous les domaines politiques, militaire, économiques, financier, etc. C’est ce qui se passe aujourd’hui d’ailleurs avec Ouattara. Mais on reviendra surement là-dessus.

Et donc, Houphouët était en fait le garant, essentiellement, de la permanence de la présence et de l‘influence française en Afrique. Et dans le même temps, bien évidemment, il était celui qui, d’une façon ou d’une autre, assurait que le bloc anglophone, et ça, ça jouait aussi beaucoup, incarné par le Nigéria, à l’époque, n’allait pas finalement exercer son emprise sur l’Afrique de l’Ouest. Il y a toujours eu cette rivalité. Et c’est pour ça que Houphouët a soutenu, avec la France derrière, la rébellion au Libéria, et soutenu Taylor en 1989. Lorsque Taylor engage la guérilla, avec ses hommes, contre le pouvoir de Doe, à ce moment-là, qui avait lui-même renversé Tolbert, à la fin, il le fait avec le soutien militaire français. Et, il le fait avec la bénédiction totale d’Houphouët et de la Côte d’Ivoire. L’objectif, au départ, était surtout d’infléchir l’influence notamment anglophone qui était celle du Nigéria. Souvenez-vous du Biafra. Quand ça a commencé, la Françafrique s’est manifestée, avec les porteurs de sacs de riz et tout.

Même l’action humanitaire française, à l’époque, était suspectée. On l’a soupçonnée d’être noyautée par les services français.


Le légalisme de LG, et son combat pour le multipartisme


Oui, son légalisme, ça m’a toujours frappé. Et avant même qu’il accède au pouvoir, il avait des divergences avec certains dirigeants africains d’opposition, notamment socialistes, dont je tairai les noms. Mais il y avait des débats incroyables, et des engueulades parce que Gbagbo disait, « non, il faut aller aux élections ». Et eux, disaient : « mais, il n’y a pas d’élections, elles sont truquées ». Et lui disait : « ça ne fait rien, il faut se battre pour qu’à un moment ou un autre les élections ne soient pas truquées ». Mais eux, ils étaient pour la lutte armée pour aller renverser les pouvoirs suscités. Et bien évidemment, il y avait toujours un Blaise Compaoré qui devait l’encourager, alors que, pardonnez-moi, ce personnage agissait pour le compte d’autrui, le compte, tout simplement, de la France. Mais Gbagbo, lui, il s’en tenait toujours à ce légalisme. C’est fou d’ailleurs. Ce légalisme est extraordinaire parce que ça l’a conduit à forcer le destin, en quelque sorte, en matière de multipartisme, le 30 avril (1990), quand la foule envahit les rues, toutes les rues de la ville même d’Abidjan, pour exiger l’instauration du multipartisme.

Non pas l’instauration du multipartisme, parce que le multipartisme était prévu dans la constitution de 60. Mais 30 ans après, il n’y en avait pas, -comme le Cameroun-, puisque en fait on n’a jamais mis en œuvre cette disposition de la constitution, en adoptant des lois sur le pluralisme politique. Donc le 30 avril, il a obtenu la légalisation des partis politiques. Il l’a fait. Et, je dois dire que cette légalisation des partis politiques, cette manifestation du 30 avril, a ouvert une nouvelle ère, une nouvelle page de l’histoire politique de l’Afrique. Ça a été le stimulant.

Vous savez on a parlé de la Baule, mais la Baule c’était une vaste blague. La baule, Mitterrand, malin, s’est dit « attendez on va dire maintenant, désormais, il faut la démocratie ». Mais la Baule, c’était en juin. Entre temps, il y avait eu les changements au Benin. Il y avait eu la crise au Gabon, avec l’intervention militaire de l’armée française. Et puis, il y a eu la Côte d’Ivoire. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, la Baule, le discours de Mitterrand, c’était un discours pour encadrer, en quelque sorte, les intérêts de la France ; mieux encadrer la politique française, et faire en sorte que les nouveaux mouvements politiques et sociaux en Afrique ne remettent pas en cause l’influence de la France. Donc c’est là, qu’il (François Mitterrand) est venu, pour en quelque sorte encadrer la revendication démocratique. Un peu à l’image de ce qui s’est passé pour la revendication d’indépendance.

Quand ils ont créé la loi cadre, etc. c’était Mitterrand et la SFIO. C’est lui qui en 1955 avait obtenu le dés-apparentement d’Houphouët avec le parti communiste. Donc, ce que je veux dire, c’est qu’au fond, ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en 90 a eu beaucoup d’incidence sur le cours politique des choses en Afrique subsaharienne, et en particulier en Afrique de l’Ouest. Parce que tout simplement, il y avait un mythe autour d’Houphouët. Comme il bénéficiait du soutien total de la France, donc il était intouchable. Or voilà, qu’il est fragilisé. Vous voyez ce que je veux dire. C’est pour ça que le type, il me dit : « mais il est fou, ton ami. Il veut quoi, prendre le pouvoir à Houphouët ?». Et ça, ça m’avait marqué. D’ailleurs, je lui avais raconté. Et on en riait régulièrement de cette apostrophe de cet ami sénégalais. Mais ce qu’il faut dire, c’est que ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire a, d’une certaine manière, accéléré le cours des choses partout en Afrique. Et le mouvement de revendication des années 90 a été, sans aucun doute, stimulé par le renversement des choses politiques en Côte d’Ivoire.


De la déstabilisation de la Côte d’Ivoire


Et ça marche, d’autant plus que les bailleurs de fonds, prenez le cas de l’Union Européenne, elle a, pardonnez-moi, participé à cette aventure de déstabilisation. Croyez-vous, que la France qui n’a rien donné aurait pu autoriser que l’Union Européenne donne plus ? Pas du tout. Tout ça a été accordé de manière parcimonieuse. Il fallait l’étouffer. Il fallait le rendre dépendant, et lui faire accepter tout ce qu’on veut, jusqu’à ce qu’on arrive à ce qu’on a vu. Il a voulu réagir, et vous avez vu de quelle manière les choses se sont terminées, et la violence avec laquelle…?

Moi, je me souviens d’un journaliste au début, quand ça a commencé en 2002, c’était Hugeux, je crois, il m’avait sorti, que son pote de toujours dit que « plus francophile que Gbagbo, tu meurs ». Et, c’est vrai, qu’il était francophile. Oui, à condition qu’on conçoive la francophilie comme étant l’amour de l’histoire de France, de la culture, et des fondamentaux de cette France. Et non, si vous assimilez francophilie à tous les aspects néfastes de la France et de la Françafrique.

C’est vrai que c’est quelqu’un qui baignait dans la culture française, et qui connaissait l’histoire de France. Et, on s’amusait souvent, - à fortiori, Guy (Labertit) aussi, qui est très impliqué dans la vie politique, et moi, j’enseigne ça -, sur les dates, et les élections locales en France. Il connaissait toutes les circonscriptions, toutes. Et c’est vrai, qu’il a été beaucoup impressionné aussi par l’arrivée au pouvoir de Mitterrand. Il était là, au début des années 80. Donc, c’était la gauche, et personne n’aurait pu penser que la gauche allait diriger le pays. Bon, même si, par la suite, la désillusion était grande.


A propos du passage de Jean Pierre Cot au ministère de la coopération


J’ai envie de dire qu’il a résisté. Bon, moi je connaissais son directeur de cabinet, Jean Audibert, qui par la suite va se heurter au fils Mitterrand lorsqu’il était chargé des affaires africaines à l’l’Elysée, lui-même, était là-bas. Et c’est là qu’on l’a envoyé comme ambassadeur en Algérie. C’est que Jean Pierre Cot ne connaissait pas. Il n’avait pas de ‘‘feeling’’ africain, et (donc) il était agacé par le caractère unilatéral des décisions qui étaient prises par Mitterrand ou par l’exécutif à l’Elysée. Même si derrière ça, peut-être aussi, qu’il y avait d’autres raisons. Vous savez Cot a été de ceux qui ont été les principaux soutiens de Rocard. Au congrès de Rennes, vous savez très bien que jusqu’au dernier moment, il y a eu une bataille pour savoir qui sera le candidat de la gauche, Mitterrand ou Rocard ? Or Cot était le principal rocardien. Il avait fait un discours terrible. Mais ça c’est accessoire. Gardons que Cot est parti parce que, comment dirais-je, il a critiqué certaines positions en matières africaines. Mais peut-être que dans cette critique qui a été, surement, l’élément fondamental de son éviction, c’est vrai, il y aussi le fait que Mitterrand voulait lui régler son compte. Il y a eu un fameux congrès, où il avait pris la parole pour dire : « Mitterrand, il faut dégager. Les vieux doivent partir. Laissez la place à Rocard ».


La Françafrique et le cas Gbagbo à l’Elysée


On lui a déjà reproché tellement de choses, d’avoir voulu mettre en cause les intérêts de la France. S’il avait foncé tête baissée, là-dessus, il se serait cassé la gueule. Mais il a voulu faire de la politique. C’est vrai qu’il faut rendre compatible vos orientations avec les rapports de forces qui existent, chère Nicoletta. C’est le BA.ba de la science politique. Les rapports de forces ne lui étaient pas favorables. Est-ce qu’il fallait qu’il attaque de front les intérêts français ? Et puis, ce que je vous disais, c’est qu’il a été fragilisé quand même, à partir de 2002. S’il était resté dans la dynamique de 2001-2002, les choses auraient changé, et n’auraient pas été les mêmes. Pas du tout. Pas du tout.

Nicoletta, vous avez dû remarquer, bien évidemment, la Françafrique, pour moi, c’est le néo-colonialisme. C’est-à-dire qu’on a cherché à trouver une expression qui soit plus présentable. Et c’est vrai que la Françafrique, c’est une expression qu’Houphouët avait sortie en 1955, pour dire qu’au fond les destins de la France et de l’Afrique étaient liés. Donc bien sûr, ça a été repris avec une autre signification, et une autre portée. Mais c’était aussi l’époque ou les termes, comme « néo colonialisme » et autres, étaient considérés comme des termes subversifs. Je veux dire marqués idéologiquement. Ça c’est important.

Et c’est exactement le cas dans les rapports entre la France et l’Afrique. La ‘‘Françafrique’’, c’est le néo-colonialisme dans les rapports entre l’Afrique et la France. Ça rentre dans le phénomène plus général du néocolonialisme. Mais, on en parle moins, parce que l’Amérique latine s’est affranchie du néo-colonialisme américain. L’Asie s’est affranchie. La seule partie du monde qui reste précisément prise dans la nasse des filets du néo-colonialisme, c’est essentiellement l’Afrique. Et paradoxalement, l’Afrique subsaharienne francophone. Les rapports entre l’ancienne puissance coloniale britannique et française avec Afrique sont différents. Vous allez en Gambie, ancienne possession coloniale britannique, vous vous demandez ou sont les anglais ? Vous allez en Tanzanie, c’est la même chose. Il y a sans doute les coiffes des magistrats, les apparences héritées du colonisateur, l’ancienne puissance coloniale et l’administration coloniale, notamment. Mais en dehors de cela, il n’y a pas, dans les démarches, dans les comportements, et dans les politiques misent œuvre par les pays africains, quelque chose de semblable à ce qui se passe en Afrique francophone. C’est un petit peu aussi dans le prolongement de la politique coloniale française qui était une politique assimilationniste. C’est-à-dire que la France et l’Afrique ne constituait qu’un ensemble unique. Donc, c’est la même chose : « Les africains sont comme nous ». Mais en réalité, c’est que cette histoire coloniale a servi à lier, à asservir l’Afrique subsaharienne, sous prétexte que la France avait une culture coloniale assimilationniste, qu’elle voulait en faire des vrais citoyens.

Donc, en quelque sorte, on leur a dit : « vous êtes français comme nous. Vous avez les mêmes droits, vous avez les mêmes pratiques ». Mais en réalité, c’était un discours qui était un discours intéressé et qui a permis justement de celer ce fameux système qui a été mis en place en 1960.

En 60, on a dit aux africains « Ah vous voulez être indépendants. On va vite vous donnez l’indépendance. Mais, en contrepartie, vous allez signer les accords de coopération dans tous les domaines ». Au fond, le système de coopération était la contrepartie de la reconnaissance de l’indépendance par la France en 1960. Elle ne l’a pas fait de bon cœur. Mais elle s’est dit : « on va changer ». L’Algérie est passée par là, avec Le discours de De Gaulle, à partir de 58-59. Au début, il est venu pour garder l’Algérie française. Et, il s’est rendu compte que ce n’est pas possible. Alors il s’est dit « on ne va pas commettre la même erreur. On va cette fois-ci dire : allez prenez l’indépendance ». Or tout le monde savait que c’était une indépendance formelle, qui n’avait absolument pas de sens réel. Et, en tout cas, ce n’était pas une indépendance qui permettait aux populations, et aux peuples concernés, de prendre en main leur propre destin. Puisque leur destin, justement, était lié.

Et c’est un peu ce système, même s’il a évolué, matériellement. Dans son contenu, le système a évolué. On est dans la mondialisation, aujourd’hui. On est dans des rapports plus diversifiés des états africains avec le reste du monde, avec les pays émergents. Mais c’est surtout l’esprit de ces rapports, qui ont été noués en 60, qui demeurent. Vous voyez ce que je veux dire…

Que la France ferme des bases, et n’en garde que deux à Dakar ou à Libreville, ne change rien à l’idée que l’armée française doive être toujours présente. Le discours officiel, c’est d’assurer la protection des nationaux français en Afrique -il y en a beaucoup- et des étrangers, qu’ils disent, pour donner le change. En réalité, c’est une façon aussi de dire « nous restons un peu là, les gardiens, en quelque sorte, des lieux sacrés », de l’ex domination française en Afrique. Et vous voyez ce que je veux dire, c’est qu’au fond, c’est ça le reliquat de ce système qui a été mis en place en 1960, il y a plus de 50 ans, et qui, dans son contenu et dans la matérialisation des rapports entre l’Afrique et la France a, certes, beaucoup évolué, par la force des choses. Mais, c’est le monde qui a évolué. C’est la mondialisation qui est entrée en ligne de compte. C’est le fait que les états africains, maintenant, sont plus libres de nouer des rapports avec des pays qui apportent plus de moyens que l’ancienne puissance coloniale. Mais l’esprit, de ce système de coopération de 1960, reste aujourd’hui la marque de fabrique des relations entre l’Afrique et la France. Et, c’est ce qui explique qu’on parle aujourd’hui de Françafrique.

Je crois que ça, il faut vraiment l’avoir à l’esprit, quand il y a des réunions qui se déroulent entre l’Afrique et la France. Il n’y en a nulle part ailleurs, les mêmes. Il y a les rapports entre l’Espagne et l’Amérique latine. Il y a des rapports entre l’Europe et l’Asie. Il y a des rapports entre l’Afrique et l’Asie, il y a des rapports, je crois, entre l’Europe et l’Amérique latine. Mais jamais comme les rapports entre l’Afrique et la France. Vous avez vu les sommets ? On a l’impression qu’ils viennent, ici, pour faire de la décoration. Et, c’est un style très particulier. Souvenez-vous du dernier sommet de Nice avec Sarkozy. Il les reçoit avec grande pompe. C’est vrai que les états africains sont plus nombreux et plus variés. Mais il y a toujours le club francophone qui demeure. On tient des réunions particulières avec le club francophone. Et ce club francophone, lui-même, tient à avoir toujours des rapports spécifiques avec l’ancienne puissance coloniale. Et c’est là, la grande distinction. C’est que la Françafrique, c’est un système qui existe au niveau des élites, et au niveau du personnel politique de haut niveau, c’est-à-dire les chefs d’Etat africains. C’est un peu la survie de beaucoup de ces chefs d’Etat africains. Survie politique, qui bien évidemment, est indissociable de ce système franco-africain, de cette fameuse Françafrique, cette politique néo coloniale qui, fondamentalement, n’a pas changé dans son esprit, et dans ses principes.

Même si, encore une fois, dans sa traduction en acte, ce système a nécessairement évolué, bien évidemment, en s’adaptant aux réalités internationales nouvelles. Notamment, au fait que les états africains, eux-mêmes, ont diversifié, et ont ouvert inévitablement leurs frontières. Tout simplement parce que la France n’avait plus les moyens, justement d’assurer les politiques de développement des pays africains. Mais pour autant, pour peu que l’ouverture, cette face de la mondialisation, que traduit par exemple des accords avec la Chine, le Japon, l’Inde ou le Brésil, (les BRIC), viennent contredire les intérêts français, et hop, on oublie la mondialisation. Et on leur dit, « eh attendez, nous sommes-là ». On l’a vu notamment dans les ports, lorsque les intérêts de Bolloré étaient parfois menacés par les contrats que certains états étaient tentés de signer avec des pays comme

Dubaï.

Dubaï a gagné le port de Dakar, ça a été une volée de bois verts, du côté officiel français, à l’époque. Bon, depuis, ils sont revenus. Mais, moi, j’en suis convaincu, à un moment où à un autre, Bolloré reviendra à Dakar. Bolloré contrôle tous les ports de la côte ouest africaine. C’est moins Dakar, mais dès que vous entrez, c’est Conakry, c’est Abidjan, c’est Cotonou, c’est Lomé, et bien évidemment, si vous allez plus, c’est Libreville, etc. Donc, on est véritablement, dans une espèce, l’expression est un peu forte, dans une espèce de « cinéma politique ». C’est-à-dire qu’au fond, les états africains francophones sont indépendants et souverains. Mais dans cette indépendance et dans cette souveraineté, il demeure toujours ce fameux lien. Lien, qui n’est pas toujours perceptible, mais qui est dans l’air, et qui, d’une manière ou d’une autre, semble être quelque chose qui guide la manière de conduire les rapports franco-africains, et même les actions des chefs d’état africains.

Je vous assure, et ça c’est de l’intérieur, tous les matins, beaucoup de Chefs d’Etats se lèvent et se disent : « ah, qu’est-ce qu’on dit de moi à Paris ». Si, si, c’est très grave, parce que ces chefs d’Etat, pour la plupart d’entre- eux, n’ont pas de légitimité. Leur légitimité, elle est, comment dirais-je, usurpée. Puisqu’elle est souvent le fruit d’élections tronquées, truquées, frauduleuses, sur lesquelles, bien évidemment, la Communauté Internationale ferme les yeux. Je me souviens d’un prof qui disait : « je n’ai jamais rencontré la communauté Internationale. Je ne sais pas ce que sait. Mais c’est un caméléon qui change de couleur selon les intérêts du moment, selon les intérêts qu’incarnent la politique des grands pays qui forment, ce qu’on appelle, la Communauté internationale, qui est souvent réduite à l’Occident, et aux pays occidentaux. Il faut dire les choses comme elles sont.

Donc cette légitimité n’étant pas fondée, notamment fondée sur la base du suffrage universel, et bien, on espère toujours que le grand frère français sera là, donc il faut plaire. Il faut plaire, alors on donne tout. Et lorsque, par exemple, il y a un chef d’Etat qui essaie de s’affranchir de cette tutelle, beh, on lui pose des problèmes. Et regardez ATT. On peut penser ce qu’on veut. Sans doute que la politique de ATT au Mali n’a pas été extraordinaire. Mais tout le monde sait qu’il commençait à agacer les officiels français, parce qu’il n’a pas voulu signer des nouveaux accords de migrations, ces fameux accords régulant les flux migratoires entre la France et le Mali. Vous savez que la grande partie de l’immigration africaine, d’Afrique subsaharienne, vient du Mali, du Sahel. C’est le Mali, et c’est le Sénégal essentiellement…mais surtout le Mali. Alors on a commencé à lui chercher des choses. Alors, aujourd’hui, je ne crois pas que du côté français, on soit très mécontents que, même si son mandat arrivait à terme, qu’il ait été reversé, et qu’il ait des problèmes. Quitte aujourd’hui, peut-être à trouver d’autres solutions.

Donc, c’est ça qui me parait rester prégnant. Au fond, ce n’est pas la présence, l’histoire entre l’Afrique et la France. C’est la prégnance, et la persistance de cette mainmise, de cette emprise politique qui n’est pas toujours visible, mais qui existe réellement de la France sur les anciennes colonies d’Afrique subsaharienne.


La France nation cadre des états africains à L’Onu


En Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, c’est toujours la France qui est, ce qu’on appelle en terme onusien, la nation cadre. C’est elle qui est la colonne vertébrale des missions des nations unies en Afrique subsaharienne. C’est autour d’elle que s’agglomère, en quelque sorte, une opération, que s’agglomère la force de maintien de la paix qui est censée, bien sûr, intervenir sous l’autorité des nations unies, et sous le contrôle du Conseil de Sécurité. Mais, encore une fois, on en revient toujours au mode de fonctionnement du Conseil de Sécurité, c’est-à-dire des grandes puissances, les membres permanents. On le voit, sur la Syrie. La Russie et la Chine disent « non, pour le moment ». Alors qu’ailleurs, ils ont dit « Oui ». Donc ça se négocie tout ça. C’est des négociations permanentes. Regardez sur la Libye. La France s’est fait accompagner du Royaume-Uni. Mais sur l’Afrique subsaharienne, c’est toujours la France. C’est elle qui amène les autres, et qui conduit l’action censée être une action internationale. Tout ça, pour dire qu’aujourd’hui, la Françafrique apparaît dans tous les domaines. Cette politique néocoloniale, elle est présente, plus 50 ans après les indépendances. Moins forte qu’elle l’était inévitablement. Mais c’est l’esprit qui reste. Et (cela) dans tous les domaines, économiques, financiers, politique, les votes aux nations unies, et plein de choses de ce genre. Sur le plan militaire aussi. Sauf que sur le plan militaire, désormais, tout cela est placé sous l’égide des organisations internationales. Et quand on dit les organisations internationales, bien sûr, c’est l’Onu, le chef, comme on dit, du commandement international.


La CEDEAO, une organisation régionale bidon


Mais derrière cela, il y a des organisations régionales. Et là, la France aussi a une influence. La Cedeao, pardonnez-moi l’expression, mais c’est une organisation bidon. Il y a le Nigéria. Goodluck Jonathan était partout présent, parce qu’il voulait être candidat, être, comment dirais-je, élu. Donc, dans une élection, où il y avait 100 morts par jour, il avait besoin de l’Occident qui le légitimerait après les élections présidentielles de l’année dernière. Et puis les autres. Attendez ! Blaise Compaoré, qui est faiseur de paix, faiseur de démocratie ? C’est grave. Voilà, un monsieur, qui est depuis 25 ans au pouvoir, et à qui on demande d’aller régler les problèmes de démocratie au Mali. Et c’est, lui, qui était censé régler les problèmes de démocraties électorales en Côte d’Ivoire, alors qu’il a mis le feu ? C’est le pyromane à qui on demande de se transformer en pompier. C’est terrible. Et malheureusement, c’est une donnée réelle.

Et c’est pour ça que vous avez aujourd’hui, très clairement, l’Union Africaine, depuis ces dernières affaires, ces dernières interventions militaires sous couvert des Nations-Unies, qui n’obéissaient en réalité qu’à des intérêts de tel ou tel Etat. C’est pour ça que vous avez une cassure, à l’intérieur de l’Afrique, des pays membres de l’Union Africaine. Ça s’est traduit par l’échec de l’élection d’un président de la commission. On a reporté ça de 6 mois. Et c’est l’illustration la plus parfaite de cette division entre, notamment, les pays francophones qui, eux, gardent toujours le regard tourné vers le grand frère ou le grand papa français, (et bien sûr, à travers la France, l’Occident et les intérêts de l’occident), et les autres qui se sont beaucoup autonomisés. C’est évident. Quand vous avez un président de la commission de l’Union Africaine qui est l’ancien ministre des Affaires étrangères du Gabon, vous avez beaucoup plus prise sur lui que si c’est un Sud-africain ou un tanzanien. Il faut dire les choses comme elles sont.

Le contrôle des pays africains francophones par la France


J’ai envie de dire que le corps peut changer, mais la tête, le cerveau reste toujours contrôlé. Le corps s’agite: les états africains (de par la souveraineté) ont des relations avec 150 pays des nations unies. On a diversifié. On signe des contrats avec des chinois. Mais le cerveau, il reste un cerveau tourné vers l’ancienne puissance coloniale. Ou tout au moins, l’ancienne puissance coloniale contrôle le cerveau de cette Afrique qui reste largement piloter par les intérêts français de toutes sortes. La France, au fond, sa place, son rôle, et je vous disais tout à l’heure, son rang sur le plan international, tient beaucoup aux votes aux Nations Unies. On est 15 à18. Si vous ajoutez quelques pays francophones, ça fait un cercle plus élargi. C’est un bloc intéressant. Et c’est ça qui est à préserver. Si vous regardez même l’histoire de la France, De Gaulle et de l’Algérie. Il dit : « bon, on commence à être attaqué aux Nations Unies, il nous faut peut-être terminer cette guerre, pour mieux nous organiser ». Et c’est vrai, que la Coopération, cette relation particulière, née après 60, était subtil, parce qu’en réalité, on montrait une évolution de l’ancienne puissance coloniale qui reconnaît le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. et qui assure que la souveraineté des nouveaux états sera respectée. Mais qui, dans le même temps, bien évidemment, empaquette tout ça dans une vision qui est une vision néocoloniale, une vision paternaliste, une vision tout simplement des rapports de dominants à dominés.

Le cas du Biafra et du Nigéria


Non, vous savez, le génocide, en termes de droit….

Bien sûr…mais politiquement, ça avait été justement utilisé à ce moment-là. Et même l’aide humanitaire a été très suspecte. On a même accusé Kouchner. C’était l’une de ses premières grandes opérations humanitaires. Mais, il est toujours très discret. Il réagit violemment lorsqu’on lui dit « qu’est-ce que vous faisiez au Biafra ? ». Certains l’on accusé de tous les maux. Mais on ne va pas entrer là-dedans. On ne va pas entrer dans les détails. Simplement, pour dire qu’au Biafra, c’était quoi ? C’était de faire imploser ou de permettre l’implosion du bloc nigérian. Que le Nigéria soit fragmenté, parce que justement, n’oublions pas que le Nigéria, c’était un peu le géant de l’Afrique de l’Ouest. Donc il fallait le fragiliser. Et le Libéria faisait partie un peu de ces pays qui étaient en quelque sorte à l’ombre du géant Nigérian. Et d’aller installer quelqu’un qui conteste cette domination nigériane, c’était très important. A l’évidence, la Côte d’Ivoire a été la main, si vous voulez, a été l’arme utilisée sur le terrain par la France. Bien sûr, via Taylor, et via l’aide qui lui était apportée. Ça, c’est important. Et c’est là que Blaise Compaoré est entré dans la danse. Et c’était l’époque aussi où Sankara venait d’être assassiné. Assassiné par qui, vous savez.

Donc, vous voyez un peu, c’est un conglomérat extraordinaire, où Blaise Compaoré, notamment après la mort d’Houphouët, a voulu jouer (le rôle du vieux)…mais il n’avait pas, qu’on le veuille ou non, l’aura d’Houphouët. Houphouët, à tort ou à raison, était considéré comme le sage. Et lui, Blaise Compaoré, a voulu, après la mort d’Houphouët, en quelque sorte, être l’interface de la France en Afrique de l’Ouest. C’était une façon aussi de se garantir la paix, et d’avoir peut-être une contrepartie à travers, bien évidemment, le soutien dont il pouvait bénéficier. Et surtout, il l’a fait pour pouvoir se procurer des moyens financiers. C’est des raisons financières. Il a ponctionné financièrement la Côte d’Ivoire, à travers son intervention militaire. Il a ponctionné le Libéria. Et aujourd’hui les maliens se disent : « mais il ne va pas faire la même chose avec nous ». Donc, c’est vraiment, vous ne pouvez pas l’imaginer, des retombées financières dans un pays qui n’a pas de ressources. Et il se permet des trucs incroyables. Vous savez que le Burkina a été un gros exportateur de cacao après la guerre ? Donc franchement, l’or, le diamant, les trafics, dans le nord de la Côte d’Ivoire, dilapidés, littéralement dilapidé.


Laurent Gbagbo face aux manœuvres de déstabilisation française


C’est vrai que tout ça, même Gbagbo le savait. Seulement il disait « bon, il faut avaler ça. Il faut qu’on sorte de la guerre ». Et il avait raison sans doute. C’étaient des réalités contre lesquelles, certes, il ne pouvait rien faire dans l’immédiat, tant qu’il n’avait pas, bien évidemment, réussi définitivement à déjouer toutes les manœuvres de déstabilisations, au cœur desquelles, (ces manœuvres), il y avait, bien évidemment, la France, à travers le Burkina et à travers la Licorne. Vous vous rendez compte, 7000-8000 militaires armés français, qui dépendaient de l’autorité politique et militaire françaises en Côte d’Ivoire. Tout y était. Alors, je ne vous parle pas de ce qu’avait prévu le comité (de suivi) des résolutions des Nations Unies. Je ne me souviens plus très bien de cette résolution qui prévoyait que désormais, c’était un conseil, où sont représentés les membres des délégations des organisations internationales chargés du suivi des Accords de Marcoussis, qui devait diriger la Côte d’Ivoire. Il y avait une ministre française, à l’époque, Brigitte Girardin qui avait dit : « à partir de ce jour, il n’y a plus d’Assemblée Nationale. Nous en avons décidé ainsi ». C’était Brigitte Girardin, je me souviens. Et, je cherche le nom de cet organisme qui était composé uniquement de représentants de la Cedeao, de l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA), de la Francophonie, des Nations-Unies, et de la France, bien évidemment. Et, c’était cet organisme qui était, désormais, chargé de diriger la Côte d’Ivoire. Et c’est lui qui était censé annoncer la dissolution de l’Assemblée Nationale ivoirienne.

Bien sûr, ce n’est pas passé. Mais ça montrait jusqu’où ça allait. C’est qu’au fond, franchement, avec le recul, je me demande, comment Gbagbo a-t-il pu se sortir des mailles de ce filet qui était étendu partout. C’était incroyable. Ils ne l’ont jamais laissé diriger la Côte d’Ivoire. Et véritablement, il n’a pas pu gouverner. En 2002, on lui créée ces problèmes qui n’auraient jamais été d’ailleurs, à mon avis. Le coup d’Etat, à mes yeux, n’aurait jamais été réalisé, s’il n’y avait pas eu le changement politique ici (en France), avec l’élection présidentielle à droite, de Chirac. C’était l’ouverture, à tous ces exercices de déstabilisation qui ont débouché, sur ce qu’on sait. Notamment le processus électoral de 2010.



La position floue et équilibriste de la revue Jeune Afrique


Vous savez, Jeune-Afrique est un organe très complexe qui fonctionne de manière, un peu perverse, sans doute, à travers les publi-reportages, les orientations politiques. Mais dans le même temps, c’était un organe qui avait vraiment, et qui a encore parfois, son caractère professionnel. Vous voyez ce que je veux dire. Techniquement, c’est un bon journal. Mais le fond, de temps à temps, peut être orienté. Et moi, pendant les 14-15 ans, où je suis resté, ma chronique s’appelait « En vérité ». C’était quelque chose qui tranchait souvent avec le contenu du journal. Mais on m’a toujours laissé une liberté totale. Bon, il y a eu une ou deux fois, où on m’a averti qu’un de mes papiers avait sauté. Je crois que c’était sur les journalistes camerounais. Puis Njawé avait fait un papier. Et quelqu’un m’alerte, et me dit : « attention, il va… »

J’appelle Béchir Ben Yahmed. C’est un monsieur intelligent, donc il sait très bien qu’au fond, la crédibilité se joue sur ces équilibres. Mais, bon, j’allais au journal uniquement au comité de rédaction, parce que je n’étais pas salarié. J’étais pigiste simplement. Et j’étais payé pour mes chroniques, jusqu’au jour où, là, où vous êtes assise, en 2002, où devant aller au comité de rédaction, je suis resté. Et puis, je me suis dit « non, j’arrête, je n’y vais plus ». Février 2002. Heureusement, que ça s’est passé avant le déclenchement de la crise de septembre 2002. Sinon on aurait dit : « vous voyez, c’est le désaccord sur la Côte d’ivoire ». Non, c’est qu’il y a une accumulation de faits qui m’a conduit, peut-être, à dire : « est-ce que, franchement, je dois rester ou pas ? » J’ai décidé de me retirer purement et simplement, sans faire de bruit. Et je n’y ai jamais remis les pieds, tout en ayant de temps à temps des rapports épisodiques avec Béchir Ben Yahmed. Mais, depuis 1an ou 1an et demi, depuis les évènements de la Côte d’Ivoire et les violences exercées par l’armée française, on ne s’est plus parlé. Mais ce que je veux dire c’est qu’il y a eu effectivement, comment dirais-je, des coups tordus. Et notamment, pour tout vous dire, en 99, j’étais encore là-bas, et je vais avec Laurent Gbagbo à Jeune Afrique rencontrer Béchir Ben Yahmed. Et là, il (Laurent Gbagbo) a tout dit. Il a dit : « vous avez publié en 92, lorsqu’il y a eu la répression du 18 février 92, -quand il a été arrêté pendant 6 mois-, vous avez publié une photo qui était une photo montée de toute pièce ». Et qui, en fait, avait été montée par le service de sécurité ivoirien.

A l’époque, c’était Ouattara qui dirigeait ça. Et Béchir Ben Yahmed lui dit : « ah bon ! ». Laurent Gbagbo dit « Oui, c’est un tel ». Et Béchir Ben Yahmed l’a fait venir. Bon, tout ça, pour dire que dans les locaux même de Jeune Afrique, il a dit « vous avez triché » ! Donc, c’est vrai. Et, encore une fois, le patron de Jeune Afrique est un monsieur d’une intelligence inouïe qui a admis, sans doute, même s’il savait très bien que l’auteur de ce montage, en tout cas l’inspirateur ou le commanditaire, n’était personne d’autre qu’Alassane Ouattara qui était à ce moment-là premier ministre, et qui avait, bien évidemment, instruit cette fameuse répression brutale contre une manifestation emmenée par le FPI et principalement par son chef à l’époque, c’est-à-dire Laurent Gbagbo. Donc, vous voyez, ce n’est pas toujours facile. Mais je crois qu’il ne faut pas être absent aussi, non. J’avoue que j’ai tiré le meilleur de cette collaboration. Même si de temps à temps, vous vous dites, « si j’arrive à faire passer mes idées, -et c’était le cas-, c’est utile ». Et je dois dire qu’on m’a laissé, on m’a fichu la paix. J’ai dû être en difficulté une ou deux fois. Mais j’ai pu me rétablir, parce que, peut-être, que j’avais ce rapport direct avec le directeur de Jeune Afrique qui me permettait, au fond, de dire : « attention, là, je ne suis pas d’accord ». A deux reprises, je crois. C’était sur les journalistes camerounais, et une autre fois sur la Mauritanie. Vous voyez donc, ce n’était même pas la Côte d’Ivoire.

Mais là, la Côte d’Ivoire, je suis allé à l’élection présidentielle d’octobre 2000. Et je suis allé moi-même, seul, en tant que tel. Et je l’avais annoncé à Béchir. Je lui ai dit « Tiens, j’y vais. Mais pas pour Jeune Afrique ». Et il me dit : « ça ne sert à rien, le général Guei va être élu ». Et je lui dis : « eh beh, écoutez, comme ça, je regarderai ça de près ». Et puis, bon ça s’est déroulé comme on le sait. Et dès que je suis rentré, on m’a dit : « oh, ça serait formidable d’avoir un papier ». Et j’ai fait un papier sur la Côte d’Ivoire, de 10 pages, racontant les 8 jours au cours desquels Gbagbo est devenu président de la République. Donc, c’est sorti, et tout y était, pas un mot n’a été enlevé. C’est pour ça que, autant les médias je les incrimine véritablement, autant, je pense qu’il faut également retenir la complexité de cet organe qui me paraît être rien du tout par rapport aux ingérences ou aux malversations journalistiques outrancières de certains journalistes français pendant toute cette période. C’était incroyable.

Les malversations les médias français pendant la crise ivoirienne : le cas de Jean Hélène


Regardez Jean Hélène qui a été tué…, c’est terrible, en tant que tel, cette mort, cet assassinat de ce journaliste qui était sous pression de sa rédaction.

Ça a été écrit par un militaire, le porte-parole de la force Licorne, à ce moment-là, disant qu’il l’avait vu la veille, et qu’il n’en pouvait plus, qu’il étouffait, parce que sa rédaction le poussait, en disant : « mais enfin, il faut taper, il faut taper ! ». Et lui, il disait : « mais enfin, je ne peux pas dire ce que je ne vois pas ».

Et, il est tombé, pendant ces malversations, sur un salaud qui est passé par là et qui l’a tué. Et qui a dit à ce monsieur, à ce fou, de tuer Jean Hélène ? Certainement pas Gbagbo. Gbagbo n’avait, strictement rien à gagner à ça. Et c’était même terrible (pour lui). Je me souviens, même, l’avoir eu au téléphone. Il était accablé. Mais véritablement accablé. Et c’était la même chose pour Bouaké (les événements de de Bouaké). Je revois ça d’ici, appelant avec Evelyne (Mme Bourgi) – Laurent est un ami. Donc ici on l’a toujours, pendant 20 ans – et on était, comme on dit, sonné. Et je l’appelle, et il me dit : « j’espère que c’est qu’un cauchemar, et que demain quand on se réveillera, on se rendra compte, qu’au fond, c’étaient des choses qui ne s’étaient pas passées ».

Vous voyez, c’était un cauchemar, comme dans les rêves, dans la nuit, et qu’au réveil, il n’y a jamais eu que ce qu’on a sous les yeux.

Je crois, honnêtement, que ça restera, à la fois, un mystère pour moi, mais aussi, peut-être, une indication majeure de voir en quelles manière la presse française a, en quelque sorte, accompagné cette intrusion politique et militaire de la France, et du pouvoir français en Côte d’Ivoire, pendant les 10 dernières années, de 2002 à 2012. C’est honteux. Et c’est pour cela que je dis que c’est à la fois un mystère, sans aucun doute, mais aussi, quelque part, un dégoût, parce qu’on aurait tellement de choses à dire là-dessus…Et dire que c’étaient les médias officiels, c’est-à-dire les médias qui sont financés par le ministère des Affaires étrangères. Ce ne sont pas des médias privés. Et bien évidemment, comme toujours, ce sont ces médias internationaux, radios et télévisions financés par le ministère des Affaires étrangères, sur le budget national, ce sont ces médias, vous savez comme moi, qui donnent le ton. Et l’autre, la presse française, elle est suiviste. Et lorsqu’il s’agit de l’Afrique, elle suit généralement la ligne officielle du pouvoir. Il y a Radio France Internationale (RFI), et France 24. Franchement, c’est du matraquage. Ce n’est rien d’autre. Bien sûr, il y a d’autres journalistes. Mais, le problème de la presse française en Afrique, notamment en couvrant les événements en Afrique, c’est que ces journalistes deviennent des acteurs. Ce ne sont plus des observateurs. Ce sont des acteurs. Ils ont leur parti- pris. C’est connu.

Enfin, c’est salaud. La rédactrice en chef, il faut le dire, tout le monde le sait, patronne de RFI a dansé le jour où Gbagbo a été abattu, sorti, a dansé dans son bureau, sous les yeux de certains journalistes, ravie, heureuse qu’elle était.

Je crois qu’il faut le dire, c’est rapporté par un journaliste intérieur qui était accablé, en voyant ça. Tout le monde sait qu’il y avait des anti Gbagbo primaires, un paquet.

C’est nul. Mais c’est comme ça, parce que c’est l’Afrique, parce qu’on est des chefs. Vous entendez parfois, pardonnez-moi l’expression, un journaleux dire : « j’aurai sa peau », sa peau politique, évidemment. C’est ça, la Françafrique, ma chère. J’ai envie de dire que, c’est plus ça, que ces voyous qui prennent de l’argent, et qui vont. Vous les verrez toujours, ceux-là. Mais ceux qui distillent cette information, et qui agissent de manière aussi unilatérale et grotesque, ce sont les véritables pourfendeurs, j’ai envie de dire, de la morale politique. Je le dis, parce que souvent on a toujours envie de retenir sa langue. Vous voyez ce que je veux dire. Mais moi, je crois qu’il faut le dire. Et j’en parle d’autant plus facilement que je connais. Quand j’ai été nommé éditorialiste, - bon il se trouve que c’était la gauche à ce moment-là -, il y avait un PDG de gauche. Mais je vous dis que dès qu’un PDG de droite est arrivé. On a dit : « hop, dégagez-les ! » Et heureusement que nous étions deux, moi et Fottorino, celui qui deviendra ensuite directeur du Monde. On a démissionné, parce qu’on nous avait averti que ça allait être remplacé, dans la nouvelle grille, par un magasine hippique. Alors on a pris les devants. On a démissionné. Et ça les a embêtés d’ailleurs, parce qu’il y a eu une dépêche AFP disant : « les deux journalistes éditorialistes, Albert Bourgi et Eric Fottorino ont donc décidé de quitter…pour protester, etc. » Et, ils ont tout essayé. On a été, d’ailleurs, je me souviens, bien gratifier, parce qu’on a eu une indemnité de départ. Alors qu’on était que des pigistes. Mais, parce qu’ils étaient ennuyés. On les a pris, la main au collet, j’ai envie dire. Bon, c’est la vérité.

On pourrait dire, plein de chose, je vous assure…et dire que certains journalistes, notamment ceux des médias qui sont très écoutés en Afrique, s’entichent un peu de cette espèce de vanité d’être des acteurs primordiaux, capable de détruire un homme politique, capable de l’attaquer…Gbagbo a été véritablement la bête noire des journalistes de Radio France Internationale (RFI). Ils n’avaient de sens, ces journalistes, dans leur fonction, que d’entrer, comme on dit, dans le négatif, la description négative. Jamais, vous ne verrez un point (positif). Il n’y a jamais eu (de leur part) de lumière dans ce qu’a fait Gbagbo, que des zones ombres…


Les obstacles à la gouvernance de Gbagbo


Bien sûr, mais c’est ce que j’ai dit. On ne l’a jamais laissé gouverner, parce qu’on n’a jamais voulu qu’il applique son programme. Il avait un programme, on a dû vous en parler, l’Assurance Maladie Universelle (AMU), l’école gratuite, le développement, la décentralisation, la responsabilisation des collectivités locales, la nouvelle politique d’industrialisation de la Côte d’Ivoire, la politique des grands travaux, etc.

Vous savez, Nicoletta, on nous prend que les 2 ou 3 années de Gbagbo. Mais il faut saisir que de 2002-2003 à 2006-2007, c’était la guerre. C’est-à-dire que c’était terrible. Tout était absorbé. Malheureusement, il n’avait pas les moyens de se défendre : ni les moyens militaires, ni financièrement parlant. Il fallait absolument l’empêcher de bouger, d’agir, et à fortiori de mettre en œuvre son programme. Et quoi de mieux que de déstabiliser la Côte d’Ivoire. Et quoi de mieux ensuite de l’évincer, en disant : « voyez, on l’évince. Il est parti. Il faut qu’il parte, parce qu’il a été désavoué par le corps électoral ». Or tout le monde sait que ce désaveu du corps électoral, malheureusement, n’est pas confirmé. Et il aurait été, sans doute, beaucoup plus solide, cet argument, si on avait procédé à, ce qui était un minimum, ce fameux recomptage. Puisque les Nations Unies avaient tous les bulletins de votes. Ce n’était pas compliqué. On l’a fait en Haïti. On l’a fait aux USA. On a re compter. Souvenez-vous, pour l’élection présidentielle américaine. Pourquoi on n’aurait pas re compter, alors qu’à la clé, on avait la paix dans un grand pays ? Parce que de toutes les façons, on n’a pas pu le dégager par la voie diplomatique. On n’a pas pu le dégager par la voie économique. On n’a pas pu le dégager par la voie militaire. On va le dégager, c’est plus noble, par la voie électorale. En disant « ce n’est pas un démocrate, parce qu’il n’a pas accepté sa défaite ». C’était au fond un processus continu, et des formes. Il fallait coûte que coûte que Gbagbo s’en aille. C’est la manière d’y parvenir, ou les manières d’y parvenir qui ont variées, selon les périodes, jusqu’à aboutir à ce que l’on sait.


l' ONU


Bien évidemment, avec le matraquage qui a été fait. Et là, il y aurait beaucoup de choses à dire sur les résolutions (de l’Onu), et notamment la résolution 1974 qui a été interprétée de manière scandaleuse, de manière imaginative que, j’entendais un rare commentateur d’une télé dire « c’est fou ». Mais tout ça va être dit. Il y a un ouvrage qui sort. Paraît-il, il y a un journaliste d’une télé qui sort un ouvrage prochainement. Il y a d’autres qui mènent des enquêtes. On en saura beaucoup plus. A mon avis, dans quelques mois, je ne dirais même pas, dans quelques années. Mais dans 1 an ou 2 ans, on en saura davantage sur cette période noire. Vous savez, la France en Afrique, ou la Françafrique, a eu ses périodes noires. La période la plus noire, ça a été le Cameroun, début des années 60. Après cela, il y a eu le Tchad, avec tout ce qu’on veut. Et, il y a eu le Congo. Mais l’autre grande période noire, c’est à l’évidence, la Côte d’Ivoire. Oui, le Cameroun, on ne l’a su, et on ne le sait que maintenant. Des choses sortent. La manière dont les chose ont été menées étaient incroyables, féroces. On a dû tuer des milliers de personnes. Et là, on en saura plus sur cette période noire des rapports entre l’Afrique et la France. On va en savoir plus. Des langues vont se délier. Et ceux qui vont parler, ce sont sûrement les militaires, ceux qui ont été commis à ces tâches ignobles. Commis à ces tâches ignobles, parce que forcés de le faire au nom, bien évidemment de la logique militaire. Ce n’est même pas l’Onu. Tout le monde sait qu’à côté des Nations Unies, il y a des troupes africaines qui ont participé - à quel titre- en dehors des contingents burkinabé, sénégalais, béninois. Tout va se savoir. Au Sénégal, il va y avoir une enquête. Il est question d’aller voir « qu’est-ce qui s’est passé ? Quels militaires sont intervenus en dehors du contingent de l’Onu ? A quel titre ils sont intervenus ? ». Tout ça va se savoir. Et moi, je crois qu’avec le changement politique qui est intervenu au Sénégal, la lumière va être faite sur cette histoire, pas claire, plus que claire- obscure.

Vous me direz que Wade en a fait pire, puisque tout de suite après le 1er tour (de la présidentielle ivoirienne), sur instruction de la France, il a fait venir Ouattara. Bédié n’est pas venu, mais il a envoyé son représentant pour discuter des conditions de cette alliance, etc. Tout a été fait. Il fallait liquider Gbagbo. Et ça a été fait de manière très particulière, et de manière monstrueuse, en tout cas, qui n’honore pas, à la fois, ceux qui, à la tête de la France, Sarkozy en particulier, qui a pris, lui-même, la décision d’agir ainsi, et n’honore pas aussi l’image de la France, et de l’armée française en Afrique.

Nicoletta, la France a d’autres moyens que d’intervenir militairement de manière bête. Elle a des moyens d’influences à l’Onu. Elle est la nation cadre pour l’Afrique subsaharienne francophone. A l’Union Européenne, c’est elle qui propose. Sans elle rien ne peut être fait. C’est pour cela que les nouvelles formes d’ingérence, au cœur de cette Françafrique, ont changé de nature. Ces formes d’ingérence passent par l’influence exercée au sein de certains organes de décision, le conseil de sécurité de l’Onu, la Commission ou le conseil des ministres de l’UE, etc. Et là, la France a un rôle majeur. Et donc c’est ce rôle majeur qui est utiliser souvent pour orienter, justement la politique de ces deux grandes institutions internationales.



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