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L’hommage de Laurent GBAGBO à Amath DANSOKHO

AMATH DANSOKHO Une haute figure africaine des temps contemporains L’hommage de Laurent GBAGBO / Bruxelles, le 18 décembre 2019




____________________________ Nous n’avons pas toujours le souvenir de tous ceux qui partent avant nous au pays de nos ancêtres. Cependant, comptent beaucoup pour nous, chaque jour, ceux que nous continuons d’appeler affectueusement pères, mères, frères ou soeurs, parce qu’ils ont laissé en nous un souvenir impérissable. Ils sont toujours présents en nous. Amath DANSOKHO est, à ce titre pour moi, « un grand frère ». C’est « mon grand frère », dis-je. Ce n’est pas faire preuve de conservatisme ; ce n’est pas faire le panégyrique de la « seniocratie » de nos sociétés anciennes, ou faire un clin d’oeil aux « pères-fondateurs » de nos Etats modernes. Je signifie ici un constat, un jugement, un espoir. Le constat est celui de la différence d’âge : Amath Dansokho avait huit ans de plus que moi. Le jugement est celui que je porte, hautement favorable et positif, sur ce que fut sa vie de combattant et de rassembleur des énergies individuelles pour une cause juste. L’espoir est celui que suscite la réalisation concrète et futur de ce pour quoi il a combattu sa vie durant, à savoir l’indépendance et la souveraineté réelles de toute l’Afrique, la justice sociale pour le peuple, les libertés individuels et collectives. Pour le peuple, ce sont ces thèmes qui, seuls, fondent, dans une démocratie normale, la légitimité d’un pouvoir autonome et assumé dans un Etat indépendant, donc libre de ses choix. Hier, ce qui fondait au départ le combat d’Amath Dansokho, c’était la relation coloniale inique et les faux départs de la promulgation des indépendances africaines. Il a cru même, en adhérant dès 1957 au Parti Africain de l’Indépendance (P.A.I.), aux côtés des Mahjmout Diop, Khalilou Sall, Abdou Moumouni, etc, aux thèses de la lutte armée dans l’ex-A.O.F. Dans le prolongement des positions développées plus tard par la Tricontinentale, pour beaucoup d’Africains de cette génération, la seule alternative était celle de la lutte armée contre le colonialisme et le néocolonialisme. Cette lutte faisait merveille en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et dans le Maghreb. Un philosophe ivoirien se demandait récemment « pourquoi les productions intellectuelles à l’usage des masses populaires, dans le cadre de la problématique des conditions de leur libération, n'arrivent pas à prendre corps dans la réalité sociale et pourquoi les révolutions sont si difficiles à venir au monde ; pourquoi les révolutions ne tiennent-elles jamais la promesse de leurs fleurs théoriques ? » Les succès réels de la politique de division fondée sur l’exacerbation des identités particulières dans les colonies françaises d’Afrique subsaharienne, le très faible niveau d’investissements économiques articulé à une aggravation permanente de l’exploitation des richesses naturelles et des populations, n’avaient jamais permis la conscience de ce que Amilcar Cabral appelait « la révolution culturelle » par dépassement véritable des cultures particulières en vue de la constitution d’une communauté politique homogène. C’est par cette démarche que la lutte des classes, par un travail d’explication et de conscientisation concrète sur le terrain,

s’appuyant sur l’alliance des paysans exploités et des classes populaires urbaines, aurait permis à la lutte armée d’obtenir des succès accrus. Depuis 1981, Amath Dansokho et plusieurs de ses compagnons l’ont compris pour créer le Parti de l’Indépendance et du Travail (P.I.T.) au Sénégal. Il s’est agi, dans un parti acquis au marxisme, de réorienter la lutte vers de nouvelles bases qui sont celles de la conquête du pouvoir par les urnes, de la conquête des libertés collectives et individuelles, celle de la justice sociale redistributive, de la démocratie participative et du développement économique autocentrée. Bénéficiant de la confiance totale de ses militants, respecté même par ses adversaires les plus farouches, Amath Dansokho tiendra la barre de ce parti pendant près de vingt ans, récusant ce que André Gorz a appelé le « paternalisme bureaucratique » qui dépolitise les masses en en faisant une simple clientèle électorale. Sa position de principe et son action n’ont pas varié sur les rapports de son pays, comme de l’Afrique en général, avec l’ancienne puissance coloniale, la France. Perçue comme le principal représentant de l’impérialisme international en Afrique subsaharienne, la France n’a pourtant jamais suscité de sentiment anti-français chez mon « grand frère ». Bien qu’ayant beaucoup voyagé à travers le monde (en Afrique, en Europe de l’Est comme en Amérique latine), tout le rattachait à la France qui l’imprégnait de sa riche culture, de l’amour de son épouse française, autant que de ses amitiés militantes forgées dans la gauche française, particulièrement au sein du Parti Communiste Français. Ce qui était en jeu chez lui c’est la conviction forte que pour être ami il faut respecter la liberté de l’autre et tourner le dos à l’alliance du cavalier et du cheval pour une relation équitable et profitable à chacun. Soixante ans après les « indépendances » de nos pays, deux positions continuent de s’afficher aujourd’hui en France, ce pays qui a vu naître aussi, depuis au moins deux siècles, les nouveaux contenus de la liberté, de la promotion collective et individuelle, de la démocratie, de la société humaine. La première est celle de ceux qui, en retard d’une « révolution mentale », considèrent l’Afrique comme une chasse-gardée des intérêts impérialistes et pour qui ce continent n’a d’intérêt que comme « terre de mission » économique, géostratégique et culturelle. Elle milite pour une présence militaire française, impose de manière non-démocratique, parfois par la force, des dirigeants capables de briser l’élan de la justice sociale pour les classes populaires, impose des relations économiques et financières non-équitables au principal profit des multinationales, organise la scandaleuse évasion des ressources financières africaines. En concurrence avec leurs propres partenaires d’Occident, ce sont eux qui, criant « au loup », considèrent que « le continent africain n'est pas le continent des coups, mais de la capacité à résister aux coups [des concurrents]. Un récent rapport sur la présence économique française en Afrique a indiqué que « Depuis vingt ans, les exportations françaises vers le continent africain ont doublé [de 13 Mds $ en 2000 à 28 Mds $ en 2017], sur un marché dont la taille a quadruplé [de 100 Mds $ à environ 400 Mds $ d’exportations]. » (Cf. Rapport Hervé Gaymard, avril 2019). C’est dire l’échec de cette école de pensée. La seconde position est celle de ceux qui, comme le PCF, estiment que nos Etats doivent être des partenaires égaux, par principe comme dans les faits, capables de se fixer leurs propres priorités de progrès et dont on attend qu’ils apportent une contribution positive à la justice sociale dans le monde, à la liberté des peuples et au progrès commun de l’humanité.

La France a tout à gagner ici, du fait de liens anciens avec ce continent, à contribuer, par exemple dans les cas de conflits internes, au désarmement des forces armées illégitimes par l’appui à la « mobilisation populaire des peuples visés ».

Elle doit contribuer, par application des termes pertinents du jeu démocratique et « sans céder aux démons de la vengeance », au renforcement de la stabilité politique et de la cohésion sociale, « à la mobilisation des ressources internes de l’Afrique » de telle sorte que « les ressources africaines restent en Afrique pour soutenir le développement du continent. ». Récemment, sur son blog, à propos de la guerre au Mali (Mali: sortir de la spirale de la violence et du désastre, 04/12/2019), Pierre Laurent a énoncé quelques-unes de ces idées. Elles renvoient aux positions fréquentes du P.C.F. auxquelles était attaché mon « grand frère » Amath Dansokho. Et je les partage, hier comme aujourd’hui ; c’est aussi mon combat depuis tant d’années. Dans une de ses livraisons de 2005 sur les figures de l’opposition sénégalaise, l’hebdomadaire Jeune Afrique décrivait Amath Dansokho comme « l’éternel opposant ». Lui-même disait « Je ne suis pas un révolutionnaire d’occasion ». De fait, il n’a pas cessé de nous donner l’image d’un combattant, payant largement de sa personne, abandonnant ses études supérieures pour partir en exil. Lorsqu’il revint au Sénégal en 1977 à la faveur d'une amnistie générale, c’est pour mener le combat démocratique, sur le terrain, épuisant sa santé sans compter. Dans le contexte politique du Sénégal du début des années 80, les partis politiques se réclamant du marxisme ont proliféré. Amath s’est toujours tenu droit dans ses choix de base tout en s’ouvrant au débat avec les autres pour des actions communes. Ce n’était pas pour des raisons électoralistes mais pour faire avancer la cause de la démocratie sociale, des droits du peuple et du progrès social. Toujours sur la brèche et reconnu par tous comme incorruptible, on comprend pourquoi il fut maire de son Kédougou natal. On voit comment sa liberté de parole et sa verve cinglante ont permis les progrès du PIT dans le paysage politique sénégalais, avec l’engagement de ses compagnons et militants. Amath fut le plus ferme critique du régime d’Abdou Diouf et l’un des meilleurs avocats du courant « sopi » qui a porté Abdoulaye Wade à la présidence de la République. Lorsqu’il s’aperçut que ce dernier n’avait, hier, d’autre objectif qu’une alliance électorale pour tourner vite le dos aux engagements pris, Amath n’hésita pas à rompre une alliance contre-nature : Les intérêts du peuple comptent plus que de simples calculs politiciens sans lendemain ni consistance. « Si je meurs, je ne voudrais pas d'hommage folklorique, l'estime du peuple me suffit.» déclarait-il en 2010 dans une interview. Il sera féroce dans sa critique des dérives antidémocratiques et néolibérales de Wade. Tout le monde reconnaît ainsi son rôle dans le rassemblement de l’opposition « Benno Siggil Senegaal ». Les risques encourus alors par la nation exigeaient la mobilisation de tous, à commencer par les partis se réclamant de la gauche, pour écarter les dangers et construire ensemble le Sénégal démocratique et soucieux de porter remède aux préoccupations essentielles du peuple plus qu’à celles d’une élite sociale en mal de repères et de solidarité.

C’était cela mon grand frère. C’était cela, pour moi, Amath Dansokho. Beaucoup de choses et des convictions fortes nous liaient. La visite qu’il m’a rendue à la prison de la C.P.I. à Scheveningen l’atteste plus que tout. Nous partagions ce rêve d’une Afrique véritablement libre, maîtresse de son histoire, totalement démocratique pour dépasser les revendications identitaires surannées, consciente des fractures sociales et économiques que produit une mondialisation subie depuis tant de décennies par l’Afrique. Bruxelles, le 18 décembre 2019 Laurent Gbagbo




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